Dans les crèches Païdou, les enfants sont très souvent en âge mélangés, cela fait même parti des bases de la pédagogie Païdou. En d’autres termes, dans nos structures, les bébés de 6 mois et les enfants de 3 ans se ôtoient dans le même espace. Ainsi, quotidiennement, les enfants plus petits peuvent explorer et découvrir des jeux qu’ils ne maitrisent pas encore. Ils en apprennent quelque chose mais tenter de faire un puzzle à 10 mois peut-être, convenons-en, compliqué.
Sans travailler en micro-crèche, vous avez sûrement déjà assisté à cette scène : face à vous, votre enfant joue avec un puzzle. Il tente de mettre la vache dans un des trous libres. Il essaye partout mais impossible, il ne trouve pas la solution. Vous le voyez même essayer dans le bon emplacement mais la vache n’est malheureusement pas bien orientée. Naturellement, il s’énerve, il râle voire même parfois il délaisse le jeu pour aller faire autre chose.
Alors, forcément, chaque adulte se questionne sur son positionnement face à cette situation. C’est ainsi que 3 solutions s’offrent à nous : ne pas intervenir et le laisser passer à un autre jeu ; lui montrer la solution et le laisser essayer seul ; guider sa main pour qu’il ait la satisfaction de réussir. Mais est-ce qu’il existe une bonne solution ?! Alors devons-nous intervenir dans le jeu de l’enfant quand il est en difficulté ?
Les enfants savent demander de l’aide quand ils ont besoin.
Tout d’abord, il est évident qu’il n’y a pas de bonne réponse à cette question car chaque adulte a sa sensibilité et sa vision de l’éducation mais j’aimerais vous présenter deux petites expériences scientifiques qui nous donnent des pistes de réflexions.
La première est une expérience de l’université de Washington menée en 2011. L’objectif était de savoir si les enfants sont capables de demander de l’aide quand un objet est défaillant. Pour cela, ils ont testé leur expérience avec des enfants de 16 mois.
La méthode était relativement simple : les chercheurs ont donné aux enfants un jouet interactif. Toutefois, ils ont délibérément élaboré le jouet de manière à ce qu'il ne fonctionne pas correctement. Les enfants ont été répartis en deux groupes distincts : un groupe a été exposé à un problème causé par l’action même des enfants, tandis que l'autre groupe a été exposé à un problème causé par une défaillance de l'objet. Par exemple, dans ce premier groupe, les enfants ont pu être confrontés à un jouet trop complexe pour leur développement alors que dans le second, il pouvait s’agir d’un jouet musical sans pile, ne permettant pas de faire le moindre son. Pour simplifier, dans le premier groupe, le problème venait des actions de l'enfant, tandis que dans le second groupe, le problème était inhérent au jouet lui-même.
Les résultats ont montré que les enfants du premier groupe (quand le problème venait de leur propre action) étaient plus susceptibles de demander de l’aide que ceux du second groupe. Cela témoigne donc que les enfants sont capables de comprendre, très jeune, quand un objet ne fonctionne par « leur faute » et dans ce cas ils vont chercher de l’aide. De plus, lors de l’expérience, quand le problème venait de l’objet, les enfants partaient simplement en explorer d’autres.
Cette expérience nous montre une chose : les enfants ont donc cette capacité fine de savoir quand demander de l’aide. Dans ce cas, attendre que l’enfant demande de l’aide, par la parole ou par un geste, quand ils sont en difficulté semble être une option intéressante.
Montrer à l’enfant n’a pas que des effets positifs
La deuxième expérience nous éclaire dans le cas où nous optons pour l’hypothèse de montrer à l’enfant comment faire. En effet, une autre étude de 2011 a voulu étudier le comportement des enfants à suivre des instructions pour faire fonctionner un objet musical. Comme dans la première expérience, les enfants étaient séparés en deux groupes.
Dans ces deux groupes, l’adulte a joué un rôle totalement différent : celui de l’adulte qui sait et veut enseigner et celui de l’adulte qui ne connait pas l’objet et qui tâtonne. L’expérience avait pour but ici de montrer aux enfants comment se servir d’un objet en enchainant une suite d’action aléatoire pour faire sortir un son musical.
Les résultats ont montré que quand l’adulte explique chaque action et qu’il se positionne en adulte enseignant, l’enfant imite les actions même les plus inutiles sans réfléchir. L’enfant semble adopté la posture : on m’a montré ; je reproduis. Dans le deuxième groupe où l’adulte découvre l’objet en même temps que les enfants, ils ne font principalement que les actions nécessaires permettant d’avoir de la musique. Ici l’enfant a raisonné puis agi.
Cette expérience tend à démontrer qu’un enfant va raisonner avec plus de bon sens quand l’adulte ne lui montre pas exactement le chemin à suivre. Mais effectivement, il s’expose au risque de ne pas réussir. Nous trouvons ici toute la subtilité de l’éducation où choisir entre lui montrer la voie pour qu’il réussisse et le laisser échouer pour qu’il apprenne à raisonner est un dilemme quotidien.
Apporter une « aide juste nécessaire »
Néanmoins, une notion peut nous aider à nous positionner face à ce dilemme. Anne Marie Fontaine, psychologue française réputée, a théorisé sur la position de l’adulte : elle parle de « phare ». Les adultes qui accompagnent l’enfant sont comme des phares qui éclairent par leur regard le jeu des enfants. Dans la lumière du regard de l’adulte, les enfants se sentent portés et sécurisés. Ils peuvent ainsi s’épanouir et découvrir leur environnement en toute quiétude.
Pour notre question, il faut être un phare allumé mais pas éblouissant ! Cela veut dire que, selon elle, il faut prendre le temps d’observer l’action spontanée de l’enfant et ne pas intervenir si l’enfant ne nous sollicite pas. Juste lui montrer qu’on a vu sa difficulté par un petit sourire ou une parole peut être suffisant.
En cas de besoin, quand l’enfant nous sollicite, elle parle alors d’une aide « juste nécessaire » !
Offrir des jeux adaptés au développement de l’enfant et accompagner ses échecs
Derrière cette notion d’aide « juste nécessaire », il y a deux idées sous-jacentes : celle de ne pas faire à la place de l’enfant ce qu’il sait déjà faire (même si c’est plus lentement que l’adulte) et apporter une aide en faisant juste un peu plus.
En effet, nous sommes parfois pris dans le quotidien et pressés dans nos tâches, c’est pourquoi nous leur enfilons les chaussures alors qu’ils savent le faire. Cette attitude vient donc nous positionner en phare éblouissant qui ne laisse pas l’opportunité à l’enfant de s’exercer. Il arrive que nous n’aillions pas le choix, bien entendu. Mais gardons en tête qu’il est important de laisser aux enfants l’opportunité de s’exercer sur des tâches du quotidien. Car, comme nous l’avons vu, nous leur apprenons ainsi à résonner et à adapter leur comportement face à une difficulté.
De plus, afin de ne pas être éblouissant, en tant qu’adulte nous devons accompagner les échecs des enfants en accueillant leurs émotions mais aussi, si nous souhaitons leur montrer la solution, les aider juste un peu plus. Par exemple, si un enfant éprouve des difficultés à superposer deux cubes, nous pouvons lui montrer et éventuellement y ajouter un troisième mais nous n’allons pas lui faire une tour de 10 cubes. Cela irait totalement à l’encontre de ses capacités.
C’est pourquoi le choix des jeux à disposition est primordial car un choix juste et adapté leur permettra de trouver un réel intérêt pour résoudre seul l’obstacle qu’ils affrontent. Et faisons confiance en leur capacité de demander de l’aide s’ils ressentent le besoin. Choisir des jeux adaptés et attendre qu’ils nous demandent de l’aide nous permet une petite pirouette : ne pas vraiment répondre à cette question. Car parfois il est plus important d’agir indirectement pour laisser aussi l’enfant acteur de son propre développement.
Anthony Stephanov – Educateur de jeunes enfants chez Païdou
Décembre 2023
Photo de Marisa Howenstine sur Unsplash