« La frustration fait grandir » mais mon enfant ne la supporte pas.

Que dois-je faire ?

· Pédagogie

Il est coutume de dire que « la frustration fait grandir » car il est vrai, tout ne peut pas toujours aller dans notre sens dans la vie et accepter cela est un premier pas vers une vie d’adulte épanouie. Alors soit, partons de ce postulat de base.
Mais quand votre enfant s’énerve parce que le rond ne rentre pas dans le carré, ou quand il n’a pas la voiture bleue qu’il voulait (pas la rouge qui est à lui mais la bleue qu’il faut acheter), vous vous retrouvez face à un niveau de développement psycho-affectif qui ne lui permet pas de réagir d’une façon appropriée à cette frustration. Alors que devez-vous faire dans de pareil cas ?

La notion de frustration est-elle la même pour tous ? 

Afin d’aborder ce sujet avec une objectivité proche de notre réalité, je vous propose de commencer par un brainstorming qui a été proposé à 4 personnes ayant un vécu et un écart d’âge différent. Le but était de répondre à cette simple question : quels mots vous viennent à l’esprit quand on vous parle de « frustration » ? Voici donc leurs réponses :

  • Réponse de monsieur M âgée de 44 ans : échec / déception / manque de réussite / maladresse / insatisfaction / ennui / dépit / malaise / énervement / colère / dégoût /
    misère
  • Réponse de madame K âgée de 35 ans : empêchement / accessibilité / méchant / briser / casser les ailes / incapacité / impossibilité / impuissance / déception
  • Réponse de l'enfant Y âgée de 12 ans : perte / échec / défaite / seum / perdre/ rater / faire quelque chose contre son gré
  • Réponse de l’enfant S âgée de 9 ans : malheureux / insatisfait / mécontent / nulle

Grâce à ces réponses, nous distinguons des ressentis similaires : la déception, l’insatisfaction, l’incapacité, l’échec et la colère. Peu importe l’âge que nous avons, nous passons tout au long de notre vie par ces émotions, aussi désagréables soient-elles. 

Apprendre à vivre avec de petites frustrations 

Dans cet esprit, n’oublions pas que l’enfant est un être à l’état brut. Lorsqu’il vit la frustration, il l’extériorise en passant par tous les réflexes archaïques. Ces réflexes sont pour l’instant les seuls chemins d’expression à sa portée.

L’objectif n’est donc pas de faire disparaître la frustration mais d’apprendre à soi-même et à son enfant qu’il est possible de mieux vivre malgré de petites frustrations quotidiennes.

Mettre l’enfant face à l’interdit organise aussi sa pensée et ses futurs choix en connaissance de cause. Ainsi, par ce biais, il commence par opposer la permission en l’associant au bien, puis, l’interdit au mal. Cela mène aussi à l’association du bien au juste et de l’injuste au mal.

Être adulte c’est en quelque sorte réussir à respecter l’interdit tout en satisfaisant ses envies et désirs (principe de la sublimation). Mais revenons à notre cas de la frustration chez les enfants car bien qu’il n’existe pas de solution miracle pour régler cette problématique précise, il y a tout de même quelques pistes à explorer.

Première piste : Exprimer votre propre frustration d’adulte 

Dans ce premier cas, la force du mimétisme va être utilisée. Nous parlons souvent de l’adulte comme modèle, ici c’est clairement le cas :

« Oh la la, jen’arrive pas à faire mes lacets, il faut que je prenne le temps ».

Vous pouvez aussi impliquer votre enfant dans l’expression de sa difficulté : « tu as vu Léa ? Papa a du mal à faire ses lacets, il va essayer de les faire tout doucement ».

Cela montre à votre enfant qu’entreprendre une action peut être compliqué même pour vous et que malgré tout, vous pouvez bien le vivre et faire face à cette situation sans vous énerver.

Vous pouvez aussi dire à votre enfant « tu veux bien m’aider ? Je n’y arrive pas ». Cette phrase qui parait anodine montre à votre enfant qu’il peut aussi demander de l’aide en cas de besoin. Le mimétisme toujours !

Deuxième piste : Utilisation d'imagiers des émotions

Le sentiment de frustration ne vient pas seul, il comprend toutes sortes d'émotions telles que la tristesse, la colère, la peur etc.

Durant un temps lecture, vous pouvez présenter à votre enfant un imagier des émotions. Cet imagier va illustrer les émotions à travers les expressions du visage. En effet, le visuel est un très bon support pour l’enfant. La représentation et l’image mentale que l’enfant se fait de l’émotion ancre celle-ci dans son cerveau comme une réelle information.  

Il est parfois intéressant de lier une des émotions de l’imagier à une situation que votre enfant a récemment vécu, par exemple : “Voilà l'émotion de la colère, tout à l'heure tu étais fâché de ne pas pouvoir garder tes chaussures dans la maison tu te souviens ?”

Troisième piste : faire des mises en scènes par le jeu 

L’enfant apprend par le jeu, et comme ce jeu est un vecteur de communication incontournable pour lui, il est important de se saisir de cette opportunité. Ici, le but est de se servir de figurines d’animaux ou de ses peluches préférées pour travailler les émotions de votre enfant. Par exemple : “Oh petit éléphant est triste ! Il voulait continuer de jouer mais sa maman vient de lui dire qu’il est maintenant l’heure de dormir, je crois qu’il a besoin d’un grand câlin “.

Quatrième piste : le compte à rebours  

Lorsque l’enfant est en pleine décharge émotionnelle, il se peut qu’aucune de nos tentatives ne fonctionne pour aider l’enfant dans ces moments. Voilà qu’intervient le compte à rebours, cette astuce se fait en 4 étapes et est à destination des enfants qui parlent déjà un peu :

Etape 1 : la proposition. On se tient face à l’enfant et on lui dit "on essaye de compter jusqu’à 10 pour aller mieux ?" Puis on attend une approbation physique ou verbale.

Etape 2 : Inclure les personnes dans la pièce. « On compte jusqu’à 10 pour essayer d’aider (prénom de l’enfant) à aller mieux ? ». Dans le cas d’un repas de famille, quand toute une assemblée se met à compter à l’unisson, la frustration peut être rapidement oubliée.

Etape 3 : Le comptage. C’est le moment de prendre une grande respiration et d’expirer en prononçant chaque chiffre. « Unnnn, deuuuux, troiiiiiis, etc. »

Etape 4 : Questionner l’enfant sur son état. Il est important de demander à l’enfant s’il va mieux. Parfois compter jusqu’à 5 suffira et parfois il faudra aller un peu loin que 10. Libre à vous de vous ajuster à votre enfant et à l’ampleur de la frustration. De plus, il est possible que votre enfant ait besoin d’une vraie contenance pour le comptage. Il pourra donc tout à fait le faire dans vos bras ou sur vos genoux.

Une astuce testée dans ma crèche 

Le cerveau de l’enfant est comme inhibé par l’émotion qu’il ressent, ainsi lorsqu'on le questionne sur ce qu’il ressent par ce genre d’échange, il reprend le contrôle (parfois partiellement) sur sa situation.

Il se trouve que nous avons récemment proposé cette astuce dans notre crèche avec les plus grands. Certains se sont très vite saisis de cet outil en proposant de compter pour eux-mêmes et même de faire le décompte pour les autres lorsqu’ils ne se sentent pas bien. L’implication des autres personnes dans la pièce permet aussi de favoriser l’entraide et l’empathie du groupe d’enfants.

 

Aïcha Diallo – Educatrice de jeunes enfants chez Païdou

Janvier 2023  

Photo de Ryan Franco sur Unsplash