Très souvent quand il est question du mode de garde pour un enfant, la crèche ou micro-crèche devient une option quasiment incontournable. Parmi les arguments qui motivent la volonté de mettre son enfant dans une telle structure, la socialisation se retrouve très vite en tête de liste : « il va pouvoir se faire des copains et avoir des relations avec des enfants de son âge ». Or, durant les premiers mois, l’équipe peut vous dire que votre enfant a crié sur un autre car on voulait lui prendre son jouet, qu’il a fortement pleuré parce qu’un autre enfant ne voulait pas qu’il entre dans la cabane, etc. Pire même, on vous dit parfois qu’il a tiré les cheveux ou tapé un autre enfant ou qu’il a lui-même été tapé. C’est l’étonnement de votre côté ! Vous souhaitez tant lui transmettre des valeurs d’empathie et de respect de l’autre mais alors comment peut-il avoir de tels conflits avec les autres enfants ?
Le processus de socialisation n’est pas un long fleuve tranquille
La crèche est un lieu d’accueil où les enfants sont dans un collectif. Or, si ce collectif a de nombreux avantages pour eux (imitation, socialisation, espace de jeux), il y a aussi des effets moins agréables car être ensemble s’apprend et chaque enfant est à un stade différent dans son développement, notamment en micro-crèche où tous les âges sont réunis dans une même section. Il est alors utopique de penser qu’ils vont tous bien s’entendre et qu’il n’y aura que du positif dans leur relation : malheureusement, l’apprentissage du vivre ensemble peut être difficile.
Néanmoins, nous associons souvent les conflits à l’agressivité car ils débouchent parfois sur des actes agressifs que ce soient des cris ou des gestes mais il est important de noter que bien que l’agressivité soit mal perçue par les adultes, elle est nécessaire au bon développement des habiletés sociales. C’est cette confrontation à l’autre qui va leur permettre petit à petit de trouver la bonne façon d’entrer en relation avec les humains autour d’eux. C’est un réel apprentissage. Pour les conflits, c’est idem ! Ils sont nécessaires, de la même façon que nous nous entendons dire que les conflits sont nécessaires dans le couple, cela permet de se réajuster. Ils ne sont certes pas en couple, mais ils se réajustent continuellement avec les autres enfants autour d’eux.
Les conflits entre enfants sont directement liés à ce processus de socialisation
Des premiers mois de l’enfant à l’âge de l’école, le développement social des enfants passent par différentes étapes. Il est à noter que les âges sont bien évidemment indicatifs :
- Avant 7 mois ou avant les premiers déplacements : bébé fait connaissance avec ses voisins sans paraitre s’en rendre compte. Pour lui, l’enfant à côté est un jeu comme un autre (mais en plus élaboré car il répond, bouge, crie).
- Entre 8 et 9 mois : c’est le début du mouvement, les enfants vont découvrir les autres avec des premiers sourires, des jeux en face à face, des objets tendus à un autre enfant.
- Entre 9 et 12 mois : les premiers conflits éclatent autour des jeux. Ils veulent un jeu et un seul, juste celui-là.
- Entre 12 et 18 mois : l’enfant est dit « égocentré » car il veut tout pour lui et n’est préoccupé que par ses émotions. Cependant, il commence à s’intéresser aux autres sans vraiment savoir comment s’y prendre.
- Vers 18 mois : c’est le début de la compassion où l’enfant va être attentif aux émotions des autres. Il va vouloir consoler, aider, câliner, etc.
- Entre 2 ans et 3 ans : Il comprend petit à petit la différence entre lui et les autres. L’apparition du langage aide justement à comprendre et régler les conflits. Ils font de réels jeux avec les autres et commencent à interpréter les envies et émotions de l’autre.
Ces différentes étapes servent à comprendre certaines réactions des enfants et notamment à anticiper la journée passée à la crèche afin de minimiser les risques de conflits.
En structure petite enfance, nos actions visent à minimiser le risque de conflit
Les conflits sont nécessaires au bon développement des enfants mais pour que la réaction des professionnels soit la plus efficace possible, ils ne doivent pas arriver toutes les minutes. Chaque équipe ajuste donc ces pratiques afin de pouvoir minimiser le risque de conflit. C’est ce que nous appelons les actions invisibles.
A titre d’exemple, voici quelques pratiques qui sont instaurées dans le but de minimiser les risques de conflit : fermer les portes et donc séparer les groupes pour les activités afin de pouvoir gérer le nombre de places disponibles mais aussi préserver la qualité du jeu des participants, avoir toujours deux ou trois exemplaires d’un même jeu pour que l’enfant puisse trouver sereinement un jouet disponible sans le prendre à un enfant, offrir à chaque enfant une place identifiée que ce soit à la sieste, au repas ou sur les casiers, créer un aménagement avec des espaces de jeux identifiables, ou encore travailler en équipe sur la question des règles et des interdits de la section pour que les enfants trouvent la même réponse de la part de chaque professionnel.
Toutes ces actions ne visent donc pas à éliminer tout risque de conflits car cela serait impossible mais bien à rendre la quantité acceptable afin de pouvoir les gérer sereinement.
C’est aux adultes autour d’eux de donner des clés aux enfants pour gérer les conflits
Malgré nos actions préventives, il y aura toujours des conflits dans une journée. De ce fait, notre premier travail va être d’agir avant que des actions agressives n’arrivent. C’est pour cela que nous intervenons très rapidement en analysant la situation. Mais en fonction de la situation et surtout de l’âge des enfants, notre réponse au conflit va différer. Nous allons tantôt déplacer les plus jeunes qui n’ont pas la capacité de comprendre la situation, proposer un autre jeu à celui qui le veut, demander à l’autre de patienter ou de demander le jouet si son développement langagier le permet. Parfois même, un simple déplacement du professionnel qui continue de les regarder permet au conflit de se résoudre. C’est dans ces solutions que nous leur apportons qu’ils vont, à force de répétitions, trouver les clés pour résoudre les futurs conflits.
Néanmoins, nous nous préservons d’intervenir immédiatement à chaque évènement car l’interventionnisme à outrance dans les conflits a deux défauts : il empêche les enfants d’apprendre à résoudre les conflits et il fait qu’ils attendent constamment l’intervention de l’adulte. Or, notre but est que petit à petit ils arrivent à régler leur conflit sous l’œil de l’adulte et ce pour une raison précise : nous souhaitons offrir aux enfants une liberté dans leur déplacement et cela passe par la confiance physique mais aussi sociale que nous avons envers eux.
Les adultes ne sont pas égaux face à la gestion du conflit
Vous le savez, nous sommes tous différents face aux conflits : certains les fuient, certains arrivent respectueusement à les régler par les mots, d’autres sont submergés par leurs émotions et regrettent ensuite leur action, d’autres encore les cherchent inconsciemment. Ces personnalités sont à l’œuvre aussi chez les enfants qui traversent différentes phases durant leur développement.
De ce fait, chaque parent, chaque professionnel abordera la question du conflit différemment selon son histoire, son tempérament ou ses valeurs. Pour clarifier mon propos, et vous vous reconnaitrez j’en suis certain, voici trois façons de pouvoir réagir à un conflit (qu’il soit entre enfant ou entre adulte) : celui qui va revêtir le rôle du policier en intervenant et en réprimandant directement « l’agresseur », celui qui se muera en avocat en intervenant et en défendant « la victime » et celui qui mettra sa casquette de juge en observant et en prononçant un jugement si les deux parties ne s’entendent pas. Le sens de la justice n’est pas la même pour tous.
Enfin, ce que nous visons par nos pratiques c’est l’empathie de chaque enfant envers les autres. En effet, c’est ainsi qu’ils pourront régler ensemble leurs conflits, en prenant en compte l’envie ou l’émotion de l’autre. L’adulte doit donc créer un environnement favorable pour limiter les conflits, donner les clés aux enfants pendant le conflit et accompagner la résolution. C’est pourquoi, même si il reste parfois de réelles traces, les conflits permettent aux enfants de se construire tout en apprenant à vivre avec les autres. Ce processus de socialisation amène petit à petit les enfants à comprendre et intégrer les règles du bien vivre ensemble. Car c’est bien ce que nous voulons, qu’ils vivent, comme nous le plus souvent, sereinement entourés de nos semblables.
Janvier 2021
Anthony Stephanov – référent pédagogique et directeur chez Païdou
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